Parce qu'il a eu le malheur de jouer les trouble-deuils, le très vif et (im)pertinent ancien président de Médecins sans Frontières Rony Brauman semble avoir volé la vedette à Didier Julia : car c'est bien lui qui, désormais, se situe dans la ligne de mire de la sphère médiatique, si avide en procès instruits d'avances (et immédiatement suivis d'exécutions sommaires). Bienvenue dans le peloton Rony !
Les principaux chefs d'accusation dressés à son encontre ne sont autres que la conséquence directe de ses rappels à l'ordre qui, pourtant, sont infiniment moins scandaleux que cette récupération honteuse et calculée des effets ravageurs du Tsunami par les marchands de scoops et d'images en tout genre, les multinationales et les stars en mal de publicité. Le tout surfant sur la vague bien accommodante de la culpabilité occidentale, qui oeuvre tant bien que mal à se racheter une bonne conscience à grands coups de SMS* ! Rien de bon ne peut être causé par la culpabilité, tous ses effets ne seront que débauche et surenchère, dans un mouvement inversement proportionnel à celui de la suffisance habituelle qui vient dorloter nos consciences (et que sont cette suffisance et cette culpabilité abyssale, sinon les avortons issus des accouplements répétés, brutaux et désespérés de l'indifférence et de l'arrogance ?) Or c'est tout simplement ça que Brauman a fustigé (voir cette interview). C'est parce qu'il a appuyé sur ce qui fait encore mal qu'il est frappé d'ostracisme.
Car Rony Brauman la connaît bien cette sensiblerie fallacieuse qui est à la base des "grands mouvements de solidarité", il l'a suffisamment dénoncée dans bon nombre d'articles et d'interventions - et tout particulièrement dans son excellent ouvrage fort judicieusement intitulé La Pitié Dangereuse. L'oeuvre humanitaire est avant tout un travail de terrain qui exige certes une participation à tous les niveaux (en termes de compétence et de finances) de la part des plus nantis d'entre nous, mais régulièrement, "gratuitement" (le premier bénéficiaire d'une aide extérieur ne doit pas être notre conscience et nos intérêts), et sans discrimination. Or le Tsunami cause d'autant plus de dégâts qu'il n'a pas seulement submergé une partie des côtes indonésiennes, sri-lankaises, indiennes, birmanes et thaïlandaises, mais a également jeté une ombre dangereuse (celle de la banalité) sur les périls qui sévissent ça et là dans notre monde. Cet autre article est là pour le rappeler - ainsi que la déclaration du président actuel de M.S.F. que vous pourrez trouver là. Le but principal d'une organisation humanitaire, selon Brauman, est de parvenir à terme à créer les conditions d'une autogestion des catastrophes par les populations locales, dans la droite ligne du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes - et non pas de poursuivre la logique "impérialiste" ou "néo-coloniale" des messieurs-les-bons-offices de tout poil !
Il n'y a donc rien de maladroit dans les propos sages et avisés de Brauman, mais plutôt du "dérangeant". Et ce n'est certainement pas en taisant le diagnostic que l'on parviendra à la guérison, ce que semble avoir oublié le "bon docteur" Kouchner (au fait, quel était le sujet de votre thèse ? nyarknyarknyark !!!) - oui ! oui ! souvenez-vous ! celui-là même qui encouragea les assauts contre la Serbie et l'Iraq !
AQW.
* Tout cela n'a rien d'un coup de gueule froid et cynique. J'ai moi aussi envoyé mes petits SMS et participé à la quête organisée par les élèves dès la rentrée. Mais j'ai, tout comme vous, "oublié" d'envoyer quoi que ce soit aux victimes du séisme de Bam, en Iran, qui tua 30000 personnes, le 26 décembre 2003 - et ces "oublis" avaient déjà des précédents : le Soudan, les séismes en Algérie, les ravages annuels causés par la mousson, et toutes les autres catastrophes humanitaires d'origine naturelle ou non se sont heurtées à cette même inertie !
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