Pièce à conviction n°1.
Vendredi. La meilleure journée de la semaine en général. Certainement pas parce qu'elle marque la fin du cycle hebdomadaire de mon "activité professionnelle" (je place des guillemets pour deux raisons : 1/ surveillant d'externat n'est pas une profession, 2/ la part "terrain de jeu" a à peu près autant de poids que la part des responsabilités inhérentes à une telle fonction, pour peu que l'on s'y prenne bien). Il m'est même arrivé de passer certains week-ends à attendre la reprise du boulot ! C'est dire !
Non, si le vendredi est toujours spécial, c'est parce qu'il offre toujours son bon lot de surprises et de situations inédites. Un curieux mélange de tension et de détente. Un jour où le département Châtiment et Répression auquel j'ai l'insigne honneur d'appartenir rompt avec les tics et autres réflexes crétins, pas même pavloviens. Le fait que l'Obersturmführer soit souvent absente en ce jour béni des dieux n'y est certes pas pour rien... N'empêche : le vendredi, ben... c'est le vendredi ! (Rha ! quand je pense que les pauvres gremlins se tapent le gang de morues - Ilsa mise à part - le lundi ! C'est sûr que ça donne des envies d'émeutes tout ça !)
Pas trop de visites d'anciens ce vendredi. C'est le jour qu'ils choisissent en général, bravant tranquillement les récentes dispositions sécuritaires. Toujours la pétillante Zoubidhanky (alias Juju) pour concurrencer le soleil. Peu de coups de gueule, pas mal de sourires, un semblant de détente générale... jusqu'au début d'après-midi.
En plein milieu de leur partie de foot peu orthodoxe (les pauvres essaient de jouer, bon gré mal gré - et surtout en dépit des éternels "étourdis" qui traînaillent au beau milieu de "terrain" en bitume - à 12 contre 25), le programme se corse sérieusement. En trois étapes ladies and gentlemen.
I. Le bourre-pif de Damoclès.
Une gamine est bousculée, elle se raccroche à un autre élève, qui, en digne rejeton d'une longue lignée de croisements congénitaux, la réceptionne par le biais d'une instinctive mandale en pleine poire. Le tout aurait pu en rester là - avec son cortège de sanction ad hoc bien entendu - si la minette en question n'était pas régulièrement assistée d'une ribambelle de potes, qui n'en demandaient pas tant pour dégripper la machine à baston et aller mettre une dérouillée au fautif, qui lui, doit faire avec son statut de paria. Résultat : ça court dans tous les sens, ça cherche la moindre de mes inattentions pour aller en découdre (et plus on est de fou, plus on rit), mes interventions orales ont un effet réduit à la portion congrue (25 secondes à tout casser, le temps de chasser un escadron, et v'la qu'un autre se pointe) ! Tout ça ne parvient à se tasser - au sein de l'établissement - qu'au terme d'une manoeuvre d'intimidation dont je n'use qu'en cas d'extrême urgence (soit le spectre de la boîte à gifles), doublée d'une intervention diplomatique entre les deux protagonistes : la gamine parvient à calmer son petit monde, et l'autre ne pige rien. Bref, retour à un calme précaire.
II. Tyson en baudruche.
Faut dire qu'ils sont balaises question artisanat les Gremlins ! Un simple rouleau de Scotch, des élastiques, un bout de baudruche - et la nouvelle arme de l'année voit le jour, soit un lance-pierre d'une efficacité redoutable, et d'une puissance de frappe du tonnerre (je le sais, je l'ai testée le soir même dans mon jardin avec celle que j'ai confisquée - et qui illustre magistralement ce post). Pas de chance pour Tourkia, cette dernière ayant eu la mauvaise idée de se trouver en plein dans la trajectoire d'un vicieux projectile minéral. L'arcade est bien bousillée, et rehaussée d'un splendide oeuf de pigeon. Ça se résout dans les larmes (du fautif et de l'infortunée) et à l'infirmerie qui, par chance, est ouverte ce vendredi.
III. Cris et chuchotements.
Je croise la grande Manue dans les couloirs, qui me lance : "tiens Axel, y'a Gonzy qui s'est enfermé dans les chiottes, il pleure et y'a du sang de partout". Nom de nom !! Mais c'est vrai ça ! Une ligne hémoglobinoïde et discontinue macule le sol dégueulasse, du lavabo au cabinet de toilettes où il s'est bel et bien enfermé ! Me v'la à tambouriner à la porte. Rien. Puis je baisse de plusieurs tons - ce qui me permet d'entendre les sanglots, et d'arriver à décoincer la situation puisque la porte s'ouvre enfin.
Ouf, ce n'est pas son sang (et pas de pertes à déplorer ce jour, donc j'en déduis qu'il doit probablement d'agir d'un écoulement bénin). Ouf, il pleure beaucoup mais parvient à se calmer et même à desserrer les dents. Ouf, il se réconcilie avec sa belle en fin de journée.
Fin de journée en compagnie de l'inénarrable Peter, qui avait bien pris le soin d'oublier sa tenue de sport afin de venir divertir en salle de permanence l'une des deux collègues que j'aime bien et ma personne ! Ce gamin est exceptionnel. Une sorte de B-Boy sympathique et lunaire, souriant et débonnaire, doté d'un sens de l'humour inouï à cet âge. Et rien que ça se termine sur un débauche d'auto-dérision et de vannes lancées pèle- mêle sous les yeux médusés des pauvres collés de la dernière heure...
Bon sang que je les aime ces "journées ordinaires".
AQW.
N.B. : Note publiée un mercredi, allez savoir pourquoi !
J aimerai pas être à ta place, mon passé de cancre débile me revenant en tête.
Mais qu'est ce que j aime te lire :)
Rédigé par : Folie Privée | 23/03/2005 à 13:53
Tu dois au moins être maitre zen pour assurer dans ce boulot...
Rédigé par : Frere Kodak | 23/03/2005 à 15:55
Folie > aïe, me serais-je mal exprimé ?? S'il faut le préciser je le fais : j'adore ce boulot !
Et merci du compliment !
Kodak > heu... je suis tout sauf Zen. Et pourtant ça fonctionne ! Magique hein ?
Rédigé par : AQW | 23/03/2005 à 18:59