Ce piètre adage, cet alibi infra-conceptuel, ce faire-valoir de conscience sociale, cette négation de l'action tant individuelle que collective, (la liste pourrait être encore plus longue, je me calme) nous est servi à grandes louchées par de tristes sires dont le sourire figé ne leurre que les imbéciles et les égoïstes.
Faut bien vivre avec son temps... ouais ma gueule et après ?
Vivre avec son temps, je veux bien. D'ailleurs, une telle injonction n'en appelle même pas à ma volonté : que je le veuille ou non, je suis dans mon temps. Le folklore passéiste et fictif, bien le merci mais ce sera non - à la fois pas assez (qualitativement) et trop (quantitativement) de racines pour sombrer dans la bouffonnerie. Quant à la nostalgie, j'y demeure pathologiquement étranger. Donc ceux qui s'attendent à une logorrhée façon c'était mieux avant devront faire un sort à leur amère déception. Tant pis pour eux.
Vivre avec le réel, je le veux bien aussi. D'ailleurs c'est une exigence. Sacrifier la réalité sur l'autel de l'idée revient à vouer un culte stérile et morbide à la sacro-sainte pureté et à nous muter en créatures éthérées et inertes. Mon sang est trop bouillant pour que je sois en mesure de m'assujettir à quelque idée que ce soit.
Ni dieux, ni bêtes, disait l'autre. Sauf qu'il faudrait compléter la propos du maître des péripatéticiens (mais non, pas Pierre Woodman, ni Fred Copula voyons !) par la constatation suivante : qu'une poignée d'entre nous se sente investie d'une mission divine (avec ou sans Dieu clairement défini), et nous voilà tous plongés dans la bestialité. Je songe à l'oeuvre Khmer Rouge par exemple... Mais il y en a tant d'autres... D'ailleurs, ça aussi, ça fait partie de la réalité - comme quoi les choses sont à la fois bien plus simples et bien plus complexes que prévues hein ?
Ce qui est à redouter dans l'injonction qui nous somme de vivre avec notre temps, n'est pas son apparente évidence, mais ce que cette même évidence dissimule. A savoir : un conservatisme fondé sur une abdication totale devant les faits. Un culte voué à la "marche en avant". Une soumission à l'inéluctable, qui l'est d'autant plus qu'il n'est ni clairement identifié, ni signifiant, ni certain - et j'entends certain au sens de concret. Une superbe fuite en avant !
S'il existe encore quelques âmes pour croire que les superstitions sont mortes avec la désaffection des églises et la chasse aux sectes, eh bien c'est qu'elles sont victimes de la toute dernière en date (pas si récente d'ailleurs). Celle qui naît de la double sanctification de la Science et du Progrès, qui, comme tout élan religieux, génère ses merveilles, mais aussi ses mornes orthodoxies et ses scandales - qui a dit "comme tout processus humain" ? ha !
En parfait réac (et ce qui est génial, c'est que le "parfait réac" n'existe pas, il est réac, tout simplement, en plein dans l'éventail des nuances, en dépit et à partir de ses provocations - appelle ça "anar" si tu préfères, mais sans skate-board, sans T-shirt offishall et sans Bakounine), meutes et troupeaux m'indisposent. Abdication et conformisme me causent des aigreurs de partout. Les orthodoxies m'amusent, mais seulement lorsqu'elles sont désuètes ou si elles semblent menacer celles en vogue ici et maintenant, le tout oscillant entre gravité et insouciance (parfois même inconscience). Être dur, mais pas cassant.
Pas de misanthropie, pas de velléité révolutionnaire type grand soir. Vivre avec son temps, en oeuvrant pour que ce dernier ne vienne pas ternir la vie, au point de la rendre tout simplement impossible. Vivre avec son temps, sans songer aux remèdes, ni aux solutions définitives - mais sans rien abandonner hâtivement à l'esprit du temps.
AQW.
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