Nous évoluons dans une société dominée par la crainte. Bien entendu, il est déjà possible d’objecter un désarmant à-quoi-bonisme à une telle assertion : “ben ouais, m’sieur, mais il en a toujours été ainsi – depuis que l’homme est homme... etc.” Pas faux. Toutefois, répondre à une généralité (dans tout ce qu’elle a de mal dégrossi) par une banalité navrante ne fait que couper court à toute interrogation – et on en reste aux vérités générales, aux certitudes statiques, bref : à tous ces succédanés de pensée qui s’offrent à nous comme autant d’interfaces commodes entre le ron-ron quotidien et la sécheresse de notre ego, mais qui ne dévoilent rien !
Ce qui pose réellement problème, c’est que la crainte paraît être l’unique lieu-tenant d’un semblant de solidarité (oups... ça m’a échappé... il est vrai qu’aujourd’hui on parle de “cohésion sociale” - l’euphémisme, qui n’en est plus un d’ailleurs, en dit long !). C’est elle et elle seule qui semble permettre d’unir pour un temps nos consciences atomisées, esseulées et égarées, et de mettre un terme provisoire à la cacophonie stérile des solipsismes. Les plans sociaux, les menaces bactériologiques, notre effroi face aux nouvelles pathologies, le mouvement alternatif de promotion-diabolisation des conduites à risques, le mythe (et non pas tant le fantasme) de l’hyper-terrorisme, l’hypertrophie du principe de précaution, et je ne parle même pas de ça – autant de micro-spectres de la Fin des Temps. Or ce sont moins ces caractères apocalyptiques qui devraient faire naître l’angoisse, que l’odieux péril de la banalité. Ce qui est lisse, net, idéal et sans bavure, ce qui semble avoir tout de la mécanique bien huilée – voilà le danger ! Les situations exceptionnelles, les impondérables, les petits grains imperceptibles qui viennent faire sauter les rouages de la-dite mécanique ont ceci d’authentiquement apocalyptiques (contrairement aux craintes sus-citées) qu’ils nous révèlent les faiblesses, mais aussi (surtout !) les caractéristiques essentielles des systèmes auxquelles elles se rapportent (selon la modalité de l’exclusion inclusive, dirait le philosophe italien Agamben). Ce qui se présente comme évident, pur, infaillible, normal n’a fondamentalement rien à nous dire : il nous englobe et nous entraîne dans son torrent – l’infâme banalité – face auquel nous ne sommes que trop rarement, pour ne pas dire jamais, capables de dresser des digues. La tyrannie la plus redoutable n’est plus celle qui élimine, mais celle qui assimile. Son arme de destruction massive ? Le confort. Matériel (alias le pouvoir d’achat). Intellectuel (la bien-pensance). Affectif (le savant mélange opéré entre le cynisme et la bonne conscience). Politique (le conformisme). Ses corrélats ? Le catastrophisme, les logique de complots, la fuite en avant, le repli en arrière... - et dans tous les cas, la servitude volontaire. La liste n’est pas exhaustive.
Il est temps d’en venir au fait. A savoir : la raison d’être de ce blog. Elle est bien modeste à vrai dire. Il ne s’agit aucunement de révolutionner quoique ce soit – rêver de révolution, c’est une fois de plus se perdre dans les méandres les plus saumâtres de l’abstraction, et, du coup, octroyer un privilège indu à l’idéalité, au mépris de son prochain. La vocation première de ce blog est de chercher à mettre en perspective ce 1% qui irrite tant, de proposer des grilles de lecture du monde dans lequel nous vivons, de proposer l'éblissement d'un petit laboratoire de nuisance aussi... Par différents biais : des plus légers aux plus graves, sans craindre les contradictions. En essayant de ne jamais tomber dans le piège de l’auto-satisfaction (je compte sur vos remarques pour cela - à plus forte raison parce que je suis loin d’être exempt des critiques que je peux faire, comme vous pourrez le constater). Et du léger (ou du lourd – c’est selon !) il y en aura. Et même du rien-à-voir-avec-la-choucroute, c’est dire ! Ce blog promet donc d’être un sacré bordel ! Et je compte tenir mes promesses, envers, contre, et à partir de mon inénarrable paresse !
AQW.
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