Un long extrait de l'Hommage à la Catalogne de George Orwell. Si la guerre civile contemporaine se passe allègrement de cadavres, de sang et de rafales, les manoeuvres et gesticulations de l'Arrière demeurent inchangées. Seigneur, garde-moi de mes amis, mes ennemis je m'en charge... Ha !
Ainsi donc, voilà ce que nous étions aux dires des communistes : des trotskystes, des fascistes, des traîtres, des assassins, des lâches, des espions, etc. J'avoue qu'il y avait de quoi être charmé, surtout lorsqu'on pensait en particulier à certains de ceux sur qui de telles accusations étaient portées. Imaginez tout l'odieux de voir un jeune Espagnol de quinze ans ramené sur le front sur une civière, de voir, émergeant des couvertures, son visage exsangue, hébété, et de penser que des messieurs tirés à quatre épingles sont, à Londres et à Paris, tranquillement en train d'écrire des brochures pour prouver que ce petit gars est un fasciste déguisé. L'un des traits les plus abominables de la guerre, c'est toute la propagande de guerre, les hurlements et les mensonges et la haine, tout cela est invariablement l'oeuvre de gens qui ne se battent pas. Les miliciens du P.S.U.C.* que j'ai connus au front, les communistes des Brigades Internationales qu'il m'est arrivé de rencontrer, ne m'ont jamais, ni les uns ni les autres, appelé trotskyste ou traître ; ils laissaient cela aux journalistes de l'arrière. Tous ceux qui écrivaient des brochures contre nous, et disaient de nous des infamies dans les journaux, restaient chez eux bien à l'abri, ou tout au plus s'aventuraient-ils dans les salles de rédaction de Valence, à des centaines de kilomètres des balles et de la boue. Et, mis à part les libelles de la querelle entre partis, tout l'inséparable de la guerre, - chauvinisme agressif, éloquence de carrefour, bluff, dépréciation de l'ennemi - tout cela, ceux qui s'en chargeaient étaient, comme toujours, des non-combattants, et certains d'entre eux eussent préféré faire cent kilomètres en courant plutôt que de se battre.
L'un des plus tristes effets de cette guerre pour moi, ce fut d'apprendre que la presse de gauche est tout aussi fausse et malhonnête que celle de droite. (...) La lutte était à peine déclenchée qu'instantanément journaux de droite et de gauche plongèrent à qui mieux mieux dans le même puisard d'insultes. Nous nous souvenons tous des en-têtes du Daily Mail : "Les rouges crucifient les religieuses", tandis qu'à en croire le Daily Worker, la Légion Etrangère de Franco était "composée d'assassins, de pratiquants de la traite des blanches, de drogués et du rebut de tous les pays européens". Encore en octobre 1937, le New Statesman nous entretenait d'histoires de fascistes se faisant une barricade avec les corps d'enfants vivants (ce qu'il y a bien de plus incommode comme barricade !), tandis que M. Arthur Bryant déclarait que "scier les jambes d'un commerçant conservateur" était "chose courante" en Espagne loyaliste. Ce ne sont jamais des combattants, ceux qui écrivent des sottises de ce genre ; peut-être croient-ils que le fait de les écrire est pour eux un succédané de combat ! C'est la même chose dans toutes les guerres : les soldats se battent, les journalistes mènent grand bruit, et jamais aucun patriote ne vient à proximité d'une tranchée de première ligne, si ce n'est en rapide tournée de propagande. Ce m'est parfois un réconfort que les progrès de l'aviation sont en train de changer les conditions de la guerre. Peut-être la prochaine grande guerre nous réservera-t-elle un spectacle sans précédent dans l'Histoire : un chauvin troué par une balle.
*Parti socialiste unifié de Catalogne, dirigé par Moscou. Orwell combattait pour sa part avec le P.O.U.M. (Parti ouvrier d'unification marxiste), qui regroupait communistes dissidents de Moscou et anarcho-syndicalistes, et qui s'est fait décimer par communistes orthodoxes et républicains, avant même l'arrivée des troupes de Franco en Catalogne.
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